Premiers projets d’IA : qui fait quoi ?

Passons en revue les rôles et fonctions à comprendre et à identifier pour mener à bien vos premiers projets d’intelligence artificielle.

Dès les esquisses des idées de projets d’intelligence artificielle en entreprise, une répartition claire des rôles est essentielle pour en garantir le succès. En effet, un projet IA mobilise des expertises variées et requiert une gouvernance solide. Il ne s’agit pas seulement de développer un algorithme performant, mais de s’assurer que celui-ci répond aux besoins métier… c’est quand même le minimum ! Tout en respectant les contraintes techniques et réglementaires. Voici notre proposition des principaux acteurs à impliquer et des bonnes pratiques de gouvernance à adopter.

Cette newsletter est co-écrite par Philippe NIEUWBOURG ( Decideo ), Julien Soulard ( smartcockpit ) et Estelle Riboni-Cordelier ( OXIBI SA )

Un tandem stratégique : IA Owner et Data Scientist, plus fort que Raymond Poulidor et Jeannie Longo sur le même vélo !

Le responsable du projet, le référent, le “propriétaire” (tout en étant propriétaire de rien comme nous l’avons déjà expliqué), le IA Owner, souvent un expert métier, est le point de départ du projet. C’est lui qui identifie le cas d’usage de l’IA et en définit les objectifs fonctionnels à atteindre. En tant que représentant du métier, il s’assure que le projet répond à un besoin réel de l’entreprise et que les résultats attendus créent de la valeur métier pour l’ensemble de l’organisation. Il définit le quoi, le pourquoi, et le combien du projet (quels problèmes résoudre et quels gains espérer), tout en fixant les critères d’acceptation fonctionnels. Il ne s’agit pas d’une fonction spécifique, mais tout comme le data owner, d’un rôle pris en charge par un expert métier du sujet. Je suis responsable marketing d’une ligne de produit, je suis donc data owner des données marketing correspondantes, et donc naturellement, je suis IA owner des processus d’apprentissage machine que je souhaite voir développés pour améliorer mon activité.

Le Data Scientist est, de son côté, responsable du développement technique de l’algorithme et de la solution IA. Il maîtrise les modèles de machine learning, les techniques de traitement de données et les outils nécessaires pour développer et entraîner l’IA. Son rôle consiste à traduire le besoin métier en une solution technique viable : choisir les bonnes données, concevoir le modèle mathématique, entraîner et ajuster l’algorithme afin d’atteindre les performances voulues. La collaboration entre l’IA Owner et le Data Scientist est cruciale. Ensemble, ils forment un tandem stratégique qui garantit l’alignement entre les besoins métier et la faisabilité technique. Le métier de data scientist nécessite bien sur une formation technique avancée, qu’il mettra au service des différents métiers en fonction des projets apportés par les IA Owners.

Ainsi, l’IA Owner apporte au Data Scientist la compréhension du contexte métier et des données (leur signification, leur qualité, les contraintes éventuelles), tandis que le Data Scientist informe l’IA Owner des possibilités et des limites techniques (faisabilité d’un modèle, volume de données requis, temps de calcul, etc.). Des itérations fréquentes entre ces deux profils permettent d’ajuster le projet en cours de route : l’IA Owner peut préciser ou revoir les exigences en fonction des résultats intermédiaires, et le Data Scientist peut proposer des solutions alternatives si un obstacle technique survient. En somme, ce duo assure que l’IA développée répond bien aux attentes métier tout en étant techniquement réalisable, c’est ce que l’on appellerait l’alignement entre la stratégie de l’entreprise, ses exigences métier, et les développements réalisés en IA.

Les parties prenantes complémentaires, mais incontournables

Au-delà du binôme central IA Owner – Data Scientist, d’autres parties prenantes doivent impérativement être associées au projet pour en garantir le succès sur le long terme. Si l’on poursuit notre analogie cycliste initiale, ils sont le ravitaillement, l’équipe technique, et les commissaires de course :

  • Service informatique (IT) : L’équipe de production informatique est responsable de l’industrialisation et de l’intégration de la solution IA dans le système d’information de l’entreprise. Dès la phase de conception, il faut impliquer ces experts en infrastructures, architecture et DevOps. Ils veillent à ce que l’algorithme développé puisse être déployé à l’échelle (passage du prototype à l’environnement de production), intégré avec les applications existantes et maintenu dans la durée. Leurs bonnes pratiques en matière de performance, de sécurité et de fiabilité garantissent que la solution d’IA ne reste pas un prototype isolé, mais devienne un outil opérationnel pour l’entreprise. Leur responsabilité en matière de cybersécurité est totale. La maîtrise de leurs partenaires (fiabilité, sécurité, résilience) reste un challenge. Et de nouveaux enjeux tels que les coûts de production (Finops) mais également la mesure des impacts ESG (impact environnemental et social) sont également de leur ressort.
  • DPO / Juriste : Le DPO (Data Protection Officer ou délégué à la protection des données) et les juristes interviennent pour assurer la conformité réglementaire du projet. Leur rôle est de vérifier que l’utilisation des données respecte les lois et régulations (par exemple le RGPD pour la protection des données personnelles) et de gérer les risques juridiques liés aux données et aux usages de l’IA. Cela inclut la validation des sources de données (consentement des utilisateurs, droits d’utilisation), le respect de la vie privée, mais aussi l’anticipation des questions d’éthique ou de biais algorithmiques qui pourraient entraîner des discriminations ou des décisions injustes. Intégrer le DPO/juriste dès le départ du projet évite de coûteux ajustements ultérieurs et assure que l’IA développée opère dans un cadre légal et éthique solide. Cette association est d’ailleurs écrite noir sur blanc dans l’EU AI Act, par exemple au travers des analyses d’impact parfois obligatoires.
  • IA Steward : L’IA Steward est le garant de la qualité des données et de l’éthique de l’IA tout au long du projet. Inspiré du rôle de Data Steward en gouvernance de données, ce profil veille à ce que les données d’entraînement et de test soient fiables, pertinentes et correctement documentées. Il met en place des processus pour assurer la qualité des données (nettoyage des données, gestion des doublons, mise à jour régulière) et travaille en lien étroit avec le Data Scientist sur ces aspects. Par ailleurs, l’IA Steward s’assure que le développement de l’algorithme suit les principes d’éthique définis par l’entreprise ou le régulateur : par exemple, il contrôle que le modèle n’introduit pas de biais inéquitables, que les résultats de l’IA sont explicables dans la mesure du possible (ou au moins compréhensibles par les experts métier), et que l’usage de l’IA reste conforme à son objectif initial. En phase de déploiement, l’IA Steward pourra aussi superviser le suivi des performances du modèle et de ses impacts, afin de détecter d’éventuels dérives ou effets indésirables. Ce rôle de vigie qualitative et éthique est une bonne pratique émergente pour instaurer la confiance autour des solutions d’IA. L’IA steward est souvent rattaché au responsable de la gouvernance et reporte au comité de gouvernance.

L’importance d’un cockpit de pilotage

Avec la multiplicité de ces acteurs et la complexité inhérente aux projets d’IA, une coordination efficace est indispensable. Il ne suffit pas de réunir des experts, il faut orchestrer leurs interactions de manière cohérente. Un projet d’IA comporte souvent des phases exploratoires, des itérations rapides et des ajustements en cours de route ; sans gouvernance de projet adaptée, on risque des doublons d’effort, des malentendus entre équipes, ou des délais inutiles. C’est pourquoi mettre en place un cockpit de pilotage est considéré comme une bonne pratique. Ce « cockpit » désigne un dispositif de coordination central (à la fois équipe de pilotage et outils de suivi) qui assure le pilotage quotidien du projet d’IA. Concrètement, le cockpit de pilotage peut prendre la forme d’une petite équipe transverse ou d’un chef de projet dédié qui fait le lien entre toutes les parties prenantes. Il définit des routines de suivi (réunions de synchronisation, points d’avancement hebdomadaires, tableaux de bord de projet) pour que chacun ait une visibilité sur l’état du projet.

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Illustration d’un cockpit de pilotage de l’IA : tâches de l’IA steward – smartcockpit®

Grâce à ce cockpit, les interactions entre l’IA Owner, le Data Scientist, l’IT, le DPO, etc. sont orchestrées de façon fluide : par exemple, on saura à quel moment impliquer le DPO pour valider un jeu de données, ou quand solliciter la production informatique pour préparer l’environnement de déploiement. Le cockpit facilite également la gestion des dépendances (par exemple, s’assurer que les données nécessaires sont disponibles à temps pour le Data Scientist) et la résolution rapide des problèmes en réunissant les bonnes personnes dès qu’un risque est identifié. Les bénéfices d’un tel pilotage centralisé sont nombreux : traçabilité, transparence et alignement stratégique. La traçabilité est assurée car toutes les décisions clés, les changements de direction et les validations sont documentés et suivis via le cockpit (on garde une trace des jeux de données utilisés, des versions d’algorithme, des tests effectués, etc.). La transparence s’en trouve renforcée (les décisions sont documentées et auditables) : chaque acteur, y compris le comité de gouvernance, dispose d’informations à jour sur le projet (indicateurs de performance du modèle, risques rencontrés, arbitrages réalisés), ce qui instaure un climat de confiance et évite l’effet « boîte noire » souvent reproché aux initiatives IA. Enfin, l’alignement stratégique est maintenu en permanence : le cockpit fait remonter régulièrement l’avancement du projet par rapport aux objectifs métier initiaux et s’assure que toutes les décisions restent cohérentes avec la stratégie de l’entreprise, dans le respect de la conformité et avec des risques pilotés. En somme, ce mode de pilotage outillé et multi-acteurs permet de maîtriser le projet d’IA de bout en bout, de la phase de conception à l’industrialisation, tout en garantissant que l’IA délivre sa pleine valeur de façon responsable et maîtrisée.