Industrialisation de l’IA en entreprise : réussir l’alliance Métiers, Données, Informatique et Gouvernance

Pour les plus avancés, l’ère des POC est dépassée, nous sommes entrés dans l’industrialisation de l’IA. Dans les entreprises matures en data comme en IA, la question n’est plus “que peut-on essayer de faire avec l’IA ?”, mais “comment la déployer durablement et à l’échelle ?”.

Sur ce terrain, une vérité s’impose : la réussite d’un projet d’IA repose moins sur la qualité du modèle que sur la qualité de la collaboration entre les équipes Métiers, IT, Data et Gouvernance.  Et c’est précisément cette articulation — souvent invisible, toujours déterminante — qui fait la différence entre expérimentation et impact réel. Plusieurs études semblent montrer une déception certaine dans les entreprises qui passent des preuves de concept à l’industrialisation : ROI inférieur à ce qui était prévu, données insuffisantes ou de mauvaise qualité, besoins métiers mal cernés, etc. Selon Gartner, 40 % des projets d’IA agentique pourraient être abandonnés d’ici 2027. Et selon le MIT, ce sont 95 % des projets liés à l’IA générative qui ne produiraient aucun impact mesurable. Alors, comment expliquer ces déceptions, et comment tenter d’en éviter les conséquences ?

1 – Quatre logiques doivent coexister sans se neutraliser

1.1 Chacun a un rôle à jouer :

Les Métiers : piloter la valeur et l’usage

Les directions opérationnelles définissent la finalité : pour quoi ce modèle va-t-il être utilisé, pour quel gain, et avec quel impact sur les processus ? Leur rôle est de s’assurer que chaque initiative IA sert un objectif métier mesurable, pas seulement une démonstration technique. L’identification des risques, la mesure de leur risque de survenance et de leur impact métier, leur incombe.

L’IT : maîtriser l’architecture et la sécurité Garantir la sécurité, la performance, l’intégration et la scalabilité.

L’IT porte la responsabilité du cadre. Avec la montée en puissance des modèles génératifs et des workloads GPU, la gouvernance technique devient un sujet stratégique, aussi bien en coût qu’en sécurité. La comparaison technique des modèles et le choix final leur incombe, en fonction des objectifs métiers attendus. L’identification des risques techniques, la mesure de leur risque de survenance et de leur impact, leur incombe.

La Data : assurer la qualité des données

Les équipes data orchestrent la matière première du système : données, pipelines, catalogues, observabilité. Elles doivent garantir la fiabilité, la traçabilité des réponses des modèles — conditions nécessaires pour maintenir la confiance et la conformité. L’identification des risques liés aux données, la mesure de leur risque de survenance et de leur impact, leur incombe.

La gouvernance : garantir un cadre d’utilisation pérenne

La gouvernance arbitre les priorités, veille à la conformité réglementaire et à l’éthique des usages de l’IA, et s’assure que la valeur créée sert bien les objectifs stratégiques de l’entreprise. Elle centralise les risques identifiés par les autres parties prenantes, et aligne l’ensemble de la gouvernance de l’intelligence artificielle et des données.

L’efficacité opérationnelle de l’IA se joue dans la zones d’intersection des ces 4 domaines.

1.2 Illustration concrète sur la construction d’un tableau de bord financier enrichi par l’IA

Prenons l’exemple d’un tableau de bord financier destiné à anticiper les risques de trésorerie grâce à l’IA.

Les Métiers (direction financière) définissent le besoin stratégique : quels indicateurs suivre (DSO, cash-flow prévisionnel, écarts budgétaires), quels seuils d’alerte paramétrer, et quelles décisions opérationnelles en découleront. Ils valident également la pertinence des prédictions produites par l’IA et s’assurent que les insights générés sont exploitables au quotidien. Ils mesurent également la réalité des objectifs atteints et le retour sur investissement de la solution mise en place.

L’équipe Data prend le relais sur la dimension analytique : elle sélectionne et entraîne les modèles prédictifs (par exemple, un algorithme de machine learning pour anticiper les retards de paiement clients), centralise les données sources validées par le Métier (factures, historiques de règlement, données de marché), et conçoit les pipelines garantissant la qualité et la fraîcheur des données alimentant le dashboard.

Enfin, l’IT assure l’infrastructure technique : mise à disposition d’une plateforme cloud sécurisée, intégration des flux de données depuis les ERP et systèmes comptables, gestion des droits d’accès, et supervision de la performance et de la disponibilité du système.

La Gouvernance, quant à elle, veille à la conformité RGPD si des données personnelles sont manipulées, documente les choix méthodologiques pour garantir l’auditabilité, et pilote les arbitrages en cas de tensions entre rapidité de mise en œuvre et robustesse technique.

Cette orchestration tripartite, cadrée par la gouvernance, doit permettre de transformer une demande métier en solution IA opérationnelle, tout en maîtrisant les risques et en optimisant les investissements.

En théorie… car en pratique tout n’est pas si facile.

2 – Comment favoriser la convergence des intérêts et la complémentarité ?

Nous aurions pu développer des actions déjà largement commentées (clarifier les rôles et responsabilités, structurer la gouvernance, adapter les méthodes de travail agiles et itératives, investir dans la formation continue…), mais nous choisissons de pointer 4 axes de travail qui nous paraissent intéressants :

2.1 Instaurer un langage commun et une culture partagée

Le premier obstacle à la collaboration réside souvent dans les différences de vocabulaire et de référentiels. L’IT parle d’architecture et de scalabilité, la Data de features et de modèles, les Métiers de KPI et de ROI, tandis que la Gouvernance évoque conformité et risques. Il est essentiel de créer un glossaire partagé, d’organiser des sessions de sensibilisation croisées (immersion des datascientists dans les processus métiers, formation des métiers aux fondamentaux de l’IA) et de favoriser une acculturation mutuelle. Cette compréhension réciproque aide à dépasser les malentendus et à aligner les attentes.

2.2 Capitaliser sur des plateformes et outils collaboratifs unifiés

La dispersion des outils freine la collaboration : les Métiers travaillent sur Excel, la Data sur Jupyter (ou autre solution), l’IT sur des consoles cloud, et la Gouvernance sur des référentiels documentaires isolés. Le déploiement de plateformes intégrées (data catalogs, feature stores, MLOps platforms) offre un environnement commun où chacun peut contribuer selon son expertise tout en gardant une visibilité sur l’ensemble du cycle de vie des projets IA. Ces outils facilitent le partage des jeux de données, la traçabilité des expérimentations, la documentation des modèles et la gestion des versions, créant ainsi un référentiel unique et accessible à tous.

2.3 Cultiver la confiance par la transparence et l’explicabilité

Les Métiers ne feront confiance aux modèles IA que s’ils en comprennent les logiques et les limites. La Data doit donc investir dans l’explicabilité (méthodes SHAP ou LIME, documentation des hypothèses) et partager ouvertement les résultats des tests, les biais détectés et les incertitudes. Symétriquement, les Métiers doivent être transparents sur leurs contraintes opérationnelles et leurs priorités évolutives. L’IT et la Gouvernance, de leur côté, doivent communiquer clairement sur les contraintes techniques et réglementaires. Cette transparence mutuelle crée un climat de confiance propice à l’expérimentation et à l’innovation.

2.4 Mesurer et valoriser la contribution de chaque fonction

La collaboration se renforce lorsque chaque partie prenante perçoit clairement sa valeur ajoutée et celle des autres. Il est important de définir des indicateurs de performance partagés qui reflètent la réussite collective (taux d’adoption des solutions IA, amélioration des KPI métiers, réduction des incidents de production, conformité réglementaire) plutôt que des métriques en silos. La célébration des succès communs, la reconnaissance des efforts de coordination et la mise en lumière des synergies renforcent l’engagement et la motivation à collaborer.

Ces actions sont déjà entreprises par les organisations d’un premier niveau de maturité qui veulent passer d’une IA d’opportunité à une IA durable.

Néanmoins, si l’on se projette à plus long terme, il nous parait intéressant de soulever une question d’organisation. Si l’IA permet définitivement de gagner en coûts et en revenus, alors celle-ci pourrait devenir une fonction à part entière de l’entreprise.

3 – Une finalité commune : faire passer l’IA du statut de technologie exploratoire à celui de fonction transversale de l’entreprise.

Si l’on présume que l’enjeu est de faire passer l’IA du statut de technologie à celui de fonction transverse de l’entreprise, alors cela suppose une véritable convergence entre les Métiers (qui donnent le cap en orientant les usages vers la création de valeur), l’IT (qui assure la fiabilité et la sécurité du socle technologique), et la Data (qui transforme l’information en connaissance exploitable).

Des modèles d’organisation basés sur des processus collaboratifs et des équipes hybrides capables d’allier rigueur technique et pertinence business devraient devenir standards.

La prochaine étape n’est donc plus seulement de coordonner ces expertises, mais de les intégrer dans un modèle collaboratif pérenne. L’IA d’entreprise n’est pas une affaire d’algorithmes, mais de coopération. Là où l’IT, la Data et les Métiers avancent ensemble, la valeur devient mesurable, durable et scalable.

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