Encore un chapitre sur les définitions ! Non, non, malheureux, ne zappez pas! Nous n’allons pas vous endormir comme les articles ou livres que vous avez déjà lus, avec des définitions convenues ou incompréhensibles. Nous avons choisi de prendre le contrepied, et de vous proposer des non-définitions, et de détailler ce qui n’est pas possible… Alors, oui, continuez à lire!
Cette newsletter est co-écrite par Philippe NIEUWBOURG ( Decideo ), Julien Soulard ( smartcockpit ) et Estelle Riboni-Cordelier ( OXIBI SA )
Définitions et non-définitions de l’IA
L’Intelligence Artificielle n’existe pas !… explique Luc Julia dans son livre éponyme. Mais qu’est-ce qui n’existe pas ? L’intelligence ou son artifice. Aujourd’hui du café du commerce au journal de 20h, l’IA fait la Une des discussions. Mais la plupart de ceux qui en parlent ne sauraient pas en donner une définition. D’ailleurs, le dicton pourrait sans doute s’appliquer… ceux qui en parlent le plus, en font le moins.
Or Socrate nous apprenait il y a plusieurs siècles que « le premier savoir est le savoir de mon ignorance : c’est le début de l’intelligence ». Voici un bon exemple d’un raisonnement et d’une pensée qu’aucune IA actuelle ne saurait imaginer ou appliquer. Car les IA ont une caractéristique particulière, elles ne savent pas ce qui n’existe pas. C’est justement ce que Socrate tente d’apprendre à l’Homme, qu’il prenne conscience de ce qu’il ne sait pas… nous vous souhaitons bonne chance pour essayer de faire comprendre cela à ChatGPT ou à Copilot!
Dans ce chapitre qui traite des définitions, de manière non conventionnelle, nous commencerons donc par une impasse. Non, nous ne définirons pas l’intelligence artificielle. Tenter de la définir nous amènerait à définir l’intelligence. Et là encore de multiples thèses et articles scientifiques ont été écrits sur le sujet. Quelle arrogance aurions-nous de les résumer en une phrase. Tout simplement parce qu’il n’existe pas une, mais de multiples définitions. Lisez plutôt l’excellent travail bibliographique réalisé par Christian Latour pour le magazine HRImag[1]. Sans rentrer dans ces critères philosophiques, il nous semble ce que l’on qualifie communément d’intelligence (celle d’Albert Einstein, comme celle de Médor qui ramène la balle sur commande), utilise le même mot pour qualifier des choses bien différentes. Nous ne voudrions pas insulter, ni Einstein, ni Médor, mais utiliser le même substantif pour qualifier les deux peut sembler… perturbant.
En opposition, il peut être intéressant de définir ce que l’IA ne peut PAS réaliser. Par construction, les systèmes d’intelligence artificielle, symboliques, connexionnistes ou génératifs, nécessitent des données, qu’ils vont ingérer pour produire quelque chose en sortie. Pas de données en entrée = pas de résultat en sortie. Une IA ne peut donc réaliser quelque chose qui n’a jamais été réalisé. Elle ne peut donc pas “créer” ex-nihilo, même si l’on pourrait également disserter sur la notion de création. L’IA, tout comme l’Homme, va s’inspirer pour “copier” et créer à son tour. Mais ne demandez pas à une IA d’inventer quelque chose pour laquelle elle n’a aucune donnée. “A noter à ce sujet la mauvaise traduction en français du concept d’«intelligence artificielle», le mot «intelligence» en anglais signifiant aussi «connaissance», comme dans le cas de l’«Intelligence Service» collectant des informations. Elle synthétise des connaissances existantes mais n’en analyse pas (encore) le sens de façon «intelligente»”, explique Jacques de Gerlache.
Notre IA donc, intelligente, mais artificielle, nous semble du point de vue processus, se rapprocher plus de Médor que de Einstein ; plus proche du dressage que de la conception/réflexion/imagination. Donc, désolé, mais nous commençons ce chapitre par une non-définition, celle de l’intelligence artificielle.
Classifier les IA est également compliqué. On parle des IA faibles et des IA fortes, des IA symboliques et IA connexionnistes, et tout cela s’accompagne d’une bonne dose de marketing, car comme l’affirment certains professionnels, si tu n’es pas leader sur ton marché, créé-en un nouveau !
Mais si le concept général ne peut être défini, les techniques qu’il regroupe peuvent l’être : apprentissage machine, apprentissage profond, IA générative, etc.
Apprentissage Machine = Machine Learning = “Dressage”
Nous allons demander à la machine à apprendre elle-même un comportement. Pour cela nous allons lui fournir des données d’entrainement. L’algorithme va les analyser, et en déduire une équation. C’est cette équation qui sera appliquée et prédira les résultats futurs en fonction de l’analyse du passé. Nous pouvons ainsi prévoir si une transaction financière est frauduleuse ou pas, si un client remboursera son crédit ou pas, si un prospect signerait une offre ou pas, etc. L’apprentissage machine, un sujet parfaitement mature et déployé dans les entreprises depuis les années 90, s’appuie sur des probabilités. C’est dans tous les cas l’Humain qui prendra in fine la décision. Le système ne fait que prévoir le résultat en fonction des données qui lui ont été communiquées. Nous le verrons par la suite, un tel système est soumis à des risques de biais involontaires, de données manquantes ou erronées. Mais cela fonctionne, et le système s’adapte et s’améliore au fur et à mesure du temps, c’est pour cela qu’on parle d’apprentissage.
Apprentissage Profond = Deep Learning = Un peu de magie
Le deep learning est un sous-ensemble de l’apprentissage machine. Dans ce dernier, le data scientist choisit les variables à analyser, peut corriger les pondérations, introduire des biais volontaires… En deep learning, c’est presque magique, mais l’outil choisit lui-même les paramètres d’apprentissage. Très utilisé dans la reconnaissance d’images, de vidéos, de sons, de textes, l’apprentissage profond est versatile et très puissant. Mais il ne raisonne pas comme l’Humain, c’est normal, c’est une machine. Si vous lui demandez de trier des photos de chiens et de chats, il ne saura jamais ce que nous appelons “chien” ou “chat”. Et là où notre expérience a formaté notre manière de les distinguer, l’apprentissage profond détectera peut-être des critères totalement différents. Basé sur le travail de neurones informatiques, organisés en réseau, les résultats de l’apprentissage profond sont plus difficilement explicables. Pour cette raison, il est moins utilisé en entreprise, et parfois même interdit dans des administrations, pour le traitement de certaines données.
Intelligence Artificielle Générative = La “super assistance”
Les techniques d’apprentissage définies ci-dessus produisent un résultat, une valeur, une classe. L’IA générative génère, comme son nom l’indique, un contenu. Il peut s’agir d’un texte, d’un tableau, d’un schéma, d’une image ou même d’une vidéo. Elle est interrogée au travers d’un prompt. Cette invite de commande regroupe les instructions et la demande de l’utilisateur.
Elle s’appuie également sur des données d’apprentissage des centaines de milliards de données. La bibliothèque d’Alexandrie a réussi à incarner le mythe qui voulait rassembler en un seul lieu clos les livres du monde entier. ChatGPT ou CoPilot auraient aspiré la connaissance disponible, faisant de leur base de données le sachant le plus sachant au monde, et ce dans de multiples domaines. Aucun humain n’en saura jamais autant que l’une de ces IA génératives.
Google a pour mission[2] d’organiser les informations à l’échelle mondiale dans le but de les rendre accessibles et utiles à tous. C’est ce qu’il permet au travers de son moteur de recherche. Mais les informations qu’il présente ne sont pas mises en forme, organisées, hiérarchisées. C’est ce que permet l’IA générative en répondant aux prompts que nous lui envoyons. Parfois interroger le savoir universel mondial n’est pas adapté, et l’IA générative vous permet de créer votre propre base, autour des données vérifiées, que vous maitrisez. Cela s’appelle des RAG (Retrieval Augmented Generation – Génération Augmentée de Récupération).
Elle n’est pas exempte de faiblesses ! Les discriminations et les biais y sont fréquents, comme dans les milliards de documents qui l’ont entrainée. Elle se trompe, parfois, ce sont ses hallucinations. Ses modèles peuvent dériver, elle doit donc être pilotée et gouvernée.
Agents = Les robots du travail de l’information ou votre prochain stagiaire ?
Derniers apparus dans le monde vivant de l’intelligence dite artificielle, les agents. Petits Êtres de code censés être autonomes, ils sont des humains diminués. Leur capacité de logique est limitée, mais elle existe. Ils prennent en charge la tâche qui leur est confiée, et l’automatisent. Votre travail consiste à prendre des données dans une feuille Excel pour la mettre dans une autre feuille Excel… danger ! Un agent d’IA autonome risque d’avoir la capacité de prendre en charge cela dans les années qui viennent.
Ils sont autonomes, peuvent prendre des décisions, maitrisent plusieurs outils, conservent le contexte des décisions qu’ils prennent. Non, ce ne sont pas des Einstein, ou du moins pas encore.
Mais si nous nous regardons honnêtement dans le miroir de nos compétences. Quelle est la partie de notre travail quotidien qui pourrait être réalisée par quelqu’un d’autre. Posez-vous la question pour chacune de vos tâches : est-ce que je pourrais l’expliquer à un stagiaire, et serait-il capable de la réaliser ? Si oui, un agent d’IA également.
Cela pourrait être notre définition de conclusion, un agent d’IA c’est aujourd’hui un bon stagiaire ; il écoute et il apprend ; Mais il n’a pas l’intention de s’arrêter là et vise sans doute une grande partie de votre poste !
Votre cockpit, outil de partage et de discussion autour des définitions
Voici donc en résumé les quelques définitions que nous voulions vous proposer. Un conseil pour terminer ce chapitre décidemment chargé en citations… Aristote nous disait que « la définition fait connaître ce qu’est la chose », et bien dans votre entreprise c’est la même chose. Ne laissez pas tout le monde parler d’IA sans comprendre de quoi il s’agit : acculturez. Et pour cela, définissez. Appuyez-vous sur cet article, ou sur un autre, adaptez les définitions à ce qui vous met à l’aise, puis communiquez ! Publiez ces définitions en interne, apprenez à vos équipes à utiliser les bons termes. Votre cockpit de pilotage de l’IA vous sera bien utile. Partagez-y vos définitions, utilisez les fonctions de collaboration pour permettre à vos collègues d’échanger, de poser des questions. Ainsi, peu à peu, tout le monde parlera le même langage et les réunions ne commencerons plus par une demi-heure de débat sur la définition d’un mot…

[1] https://hrimag.com/Qu-est-ce-que-l-intelligence
[2] https://www.google.com/intl/fr/search/howsearchworks/our-approach/

